la princesse caraboo et les waroll

Caraboo, la princesse venue d’un royaume imaginaire

Crapules
6 min readJan 13, 2021

Le jeudi 3 avril 1817, une étrange femme est aperçue en train d’errer dans le village endormi d’Almondsbury, petite ville près de Bristol en Angleterre. Âgée d’une vingtaine d’années, elle mesure 1,80 m, est extrêmement séduisante et porte un châle noir torsadé en forme de turban autour de la tête.

La femme frappe à la porte de la maison du cordonnier du village, et prononce des mots incompréhensibles aux propriétaires. Elle parle dans une langue que personne ne comprend, mais par ses signes, le cordonnier finit par comprendre qu’elle demandait de la nourriture et un abri.

Les locaux lui donnent du pain et du lait. Lorsqu’elle mime vouloir dormir, la femme du cordonnier, peu enthousiaste à l’idée d’accueillir cette drôle de femme dans sa maison, l’emmène chez le Surveillant des Pauvres, M. Hill.

“Surveillant des pauvres” est un poste créé dans le cadre des lois sur les pauvres en Angleterre au début du XVIIe siècle. Ces lois exigent que chaque paroisse élise deux surveillants, chargés de répondre aux besoins des pauvres, en gérant notamment un budget en collectant l’impôt des pauvres auprès des membres de la paroisse et en aidant à la distribution de l’argent ou de la nourriture.

L’inconnue des Worrall

M. Hill conduit la femme chez Samuel Worrall, magistrat et greffier de la ville. Étant des gens aimables, lui et sa femme, Elizabeth, lui offrent l’hospitalité et essayent d’en savoir plus sur son passé, en vain.

Elle fait cependant très forte impression sur Elizabeth, qui s’arrange pour lui trouver une chambre à l’auberge locale, The Bowl. Une fois sur place, l’étrangère remarque un dessin d’ananas, affiché sur le mur du salon de l’auberge. Elle montre le cadre et dit le mot “Nanas”, signifiant ananas en indonésien.

Et les deux syllabes font leur effet : les témoins sont désormais convaincus que le fruit exotique vient de la patrie de la mystérieuse étrangère et supposent qu’elle vient d’Asie.

Invitée à résider chez les Worrall par Elizabeth qui veut à tout prix résoudre le mystère de son origine, la jeune femme commence à montrer de curieuses habitudes. Elle dort par terre et monte sur le toit de la maison des Worrall pour prier. Elle ne boit que du thé et ne mange que des légumes.

Le couple Worrall finit par comprendre que la femme s’appelle Caraboo, la femme répétant souvent le mot “Caraboo” en se désignant du doigt. La rumeur se répand qu’une charmante étrangère vit chez les Worall, et des membres curieux de la haute société viennent leur rendre visite.

La princesse de Javasu

Quelques jours plus tard, Caraboo est présentée à un marin portugais qui prétend parler sa langue. Traduisant pour la femme, le marin explique aux Worall qu’elle est une princesse dans son propre pays, l’île de Javasu, dans l’océan Indien.

Elle a été enlevée sur son île natale par des pirates et, après un long et pénible voyage, elle a réussi à s’échapper en sautant par-dessus bord dans le canal de Bristol et en nageant jusqu’à la côte.

Caraboo devient donc la Princesse Caraboo.

Lorsque les Worrall apprennent que Caraboo fait partie d’une royauté étrangère, ils annoncent immédiatement sa présence aux journaux, et bientôt toute l’Angleterre apprend l’existence de la Princesse Caraboo.

Pendant les semaines qui suivent, la princesse va vivre dans un style grandiose, passant ses journées à danser de manière exotique pour les amis du magistrat, à faire de l’escrime, tirer à l’arc, à grimper aux arbres, à prier le dieu “Alla Tallah” et à divertir les nombreux visiteurs qui viennent la voir nager nue dans le lac lorsqu’elle est seule.

Les Worrall, quant à eux, sont très contents de la renommée qu’elle leur apporte. Devenue une sorte de célébrité, elle fait même peindre son portrait et organise un bal en son honneur.

portrait de la princesse caraboo
“Princess Caraboo” par Edward Bird

Cependant, la vie de royauté sera de courte durée pour Caraboo.

La fin d’un conte

M. Worrall, qui à l’inverse de sa femme est toujours resté assez sceptique sur Caraboo, envoie des lettres écrites de la princesse à l’université d’Oxford pour faire examiner le langage de l’île Javasu. Leur réponse est claire : le langage parlé par la Princesse Caraboo est un “langage de charlatan”.

écritures caraboo
Les écrits de Princesse Caraboo

La supercherie prend définitivement fin lorsque une certaine Mme Neale reconnaît une description de Caraboo imprimée dans le journal. Elle révèle aux Worrall que Caraboo était employée comme servante dans sa maison six mois plus tôt, où elle jouait notamment avec les enfants en parlant une langue étrange qu’elle avait inventée.

Son vrai nom : Mary Wilcocks Baker, fille de cordonnier.

Après trois mois de vie de princesse, Caraboo a bien été obligée d’admettre qu’elle avait trompé les Worrall.

La raison pour laquelle Mary a choisi d’assumer l’identité de la princesse Caraboo n’est pas tout à fait claire. Elle avait remarqué qu’en se faisant passer pour une étrangère exotique, elle pouvait plus facilement obtenir la sympathie et l’aide des autres lors de ses déplacements sur la route, et c’est ainsi que commença peu à peu son imposture.

Une fois son imposture révélée, elle devient le symbole d’un changement culturel bien plus puissant : l’effondrement du pouvoir de l’aristocratie anglaise.

Jusqu’alors, Napoléon était le symbole le plus puissant du défi auquel étaient confrontées les aristocraties européennes, et comme Napoléon, la Princesse Caraboo est devenue une représentante des classes inférieures qui, grâce à ses seuls talents, a réussi à défier et tromper les classes supérieures. La presse britannique va alors raconter comment Mary a réussi à tromper les aristocrates anglais en faisant appel à leur propre vanité et à leur cupidité.

Mary va finalement partir pour l’Amérique, avec l’aide financière de Mme Worral (qui n’était pas du genre rancunière).

Il se raconte qu’en chemin pour les Etats-Unis, son bateau se serait posé sur l’île Sainte-Helene, où Mary rencontra Napoléon, qui l’aurait même demandé en mariage. Ce qu’elle refusa.

Après sept ans en Amérique, elle retourne en Angleterre où elle donne des représentations publiques déguisée en princesse. Alors que le souvenir populaire de son histoire s’efface, elle gagne sa vie en vendant des sangsues à l’hôpital Infirmary de Bristol, jusqu’à sa mort le 4 janvier 1865.

Mais comment Mary a-t-elle réussi à maintenir le canular ?

Tout simplement en profitant du fait que les gens étaient persuadés qu’elle ne comprenait pas l’anglais. Lorsqu’ils étaient devant elle, ils n’hésitaient pas à dire ce qu’ils pensaient d’elle, de son histoire et les théories qu’ils avaient à son sujet. Plus de savants et curieux venaient la voir, plus elle pouvait étoffer son rôle et adapter son comportement pour les convaincre.

L’histoire de la princesse Caraboo a inspiré de nombreux romans, pièces de théâtre, bande dessinée, et même un film, sorti en 1994 où Caraboo est interprétée par Phoebe Cates.

En 2006, une plaque commémorant la vie de la princesse Caraboo a été dévoilée au numéro 11 de Princess Street, à Bristol, où Mary a vécu les onze dernières années de sa vie.

plaque commémorative de princesse Caraboo
Plaque commémorative de Princesse Caraboo

Sources :

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