Elizabeth Holmes de Theranos

Vie et mort de Theranos : la plus grande arnaque de la Silicon Valley

Crapules
44 min readFeb 5, 2021

2013. La chaîne de pharmacies Walgreens ouvre officiellement ses premiers centres de bien-être en partenariat avec Theranos dans quarante enseignes. Derrière ce partenariat, dans lequel Walgreens a investi plus d’une centaine de millions de dollars, les dirigeants de la chaîne espèrent obtenir beaucoup, vraiment beaucoup, de bénéfices.

Il faut dire que Theranos est la startup du moment. Fondée par la brillante et charismatique Elizabeth Holmes, l’entreprise est déjà valorisée à 9 milliards de dollars et sa fondatrice est la self-made milliardaire la plus jeune de l’histoire.

Le produit de Theranos est révolutionnaire, et pourtant très simple.

L’entreprise construit des machines capables de réaliser des centaines d’analyses de sang, du diabète au cholestérol en passant par le VIH, à partir d’une seule goutte de sang prélevée au bout du doigt. Finies les horribles aiguilles plantées dans le bras des patients. Les analyses fournies sont plus précises que celles des laboratoires d’analyses médicales classiques, tout en étant moins couteuses et plus rapides.

Enfin, c’est ce que Elizabeth Holmes a promis à ses investisseurs et ses partenaires, qui allaient se rendre compte à leurs dépends que les promesses de Theranos étaient bien loin de la vérité. Non seulement les prétentions de Theranos sont fausses, mais aussi dangereuses, et mettront en danger plusieurs milliers de patients américains.

Voici l’histoire d’Elizabeth Holmes et de son entreprise Theranos, la plus grande arnaque de la Silicon Valley, valorisée à plusieurs milliards mais dont les produits n’ont jamais existé, et dont la majorité des investissements servaient à cacher ce problème.

Cette histoire est également disponible au format audio :

La vocation d’Elizabeth Holmes

Dès son plus jeune âge, Eizabeth se distingue des autres enfants. Par exemple, quand, âgée de neuf ans, les adultes lui demandent ce qu’elle veut faire de sa vie, elle répond tout simplement vouloir devenir milliardaire.

Sa mère est membre d’une commission du Congrès et son père travaille pour des agences gouvernementales comme l’USAID. Ce dernier est également héritier de Charles Louis Fleischmann, qui a créé la Fleischmann Yeast Company. Les Fleischmann étaient alors l’une des familles les plus riches des Etats-Unis au début du XXème siècle.

Sa famille dispose d’un très bon réseau, composé aussi bien de politiques que d’hommes d’affaires et qui, comme nous le verrons par la suite, a servi aux ambitions d’Elizabeth.

Après un très bon parcours au collège et au lycée, où Holmes prend déjà des cours de mandarin, elle intègre Stanford, l’université de toutes les personnalités de la Silicon Valley dont les créateurs de Google et Yahoo!.

Mais si Elizabeth Holmes veut faire fortune, elle veut aussi accomplir quelque chose qui serve le bien commun. Elle va donc se tourner vers les biotechnologie et se spécialise en génie chimique. En 2003, elle passe l’été de sa première année en stage à l’Institut du Génome de Singapour, où elle est en charge de diagnostiquer des patients du SARS-CoV. Sur place, elle est choquée par les méthodes rudimentaires employées : seringues et aspirations nasopharyngées, ce qui la convainc qu’il devait y avoir de meilleures façons de faire.

De retour aux Etats-Unis, elle travaille durant cinq jours d’affilée pour rédiger un dépôt de brevet sur un patch à poser sur le bras capable de diagnostiquer un souci de santé et de le traiter directement. Elle présente son projet à l’un de ses professeurs, Channing Robertson, séduit par l’idée.

“Lançons une entreprise”, lui dit Holmes.

Elle quitte Stanford durant sa seconde année pour lancer son entreprise, rejointe par un autre doctorant, Shaunak, qui sera son premier employé.

La naissance de Theranos

Elizabeth Holmes loue ses premiers bureaux à Menlo Park, San Francisco, pour accueillir son entreprise Real Time Cures, nom qu’elle change rapidement pour Theranos, contraction de thérapie et diagnostic.

Son concept est simple : un patch adhésif qui prélève du sang sans douleur à l’aide d’aiguilles microscopiques et muni d’un système de détection par micropsie qui analyse le sang et détermine la quantité de médicament à administrer.

Elizabeth Holmes
Elizabeth Holmes à la création de Theranos (Source)

Mais tout le monde n’est pas convaincu. Les fonds d’investissement spécialisés dans les technologies médicales, comme MedVenture, lui posent des questions très techniques, auxquelles Holmes ne sait pas toujours répondre.

Elle trouve alors des investisseurs dans le réseau de sa famille, dont Tim Draper, investisseur réputé qui a propulsé Hotmail et Skype. Il investit un million dans Theranos, apportant une solide crédibilité au projet.

Fin 2004, Holmes a réussi à lever 6,9 millions de dollars auprès de sa famille. Grâce à ce financement précoce, la société obtient une valorisation de 30 millions de dollars.

Sauf que son concept de patch s’avère vite trop compliqué.

Ils se réorientent vers la création d’un dispositif portatif similaire à ceux permettant de surveiller les taux de glycémie chez les diabétiques, mais qui mesurerait d’autres substances dans le sang que le taux de sucre. Fin 2005, ils ont un prototype et un modèle économique : permettre aux laboratoires d’utiliser leur techno pour détecter les effets indésirables des médicaments pendant les essais cliniques.

La machine Edison

Début 2006, Theranos recrute Edmond Ku, ingénieur réputé dans la Silicon Valley. Sa mission : transformer le prototype de maquette à outil fonctionnel, ce qui se révèle vite être le plus gros challenge de sa carrière.

Holms, qui a la phobie des aiguilles, veut à tout prix utiliser une seule goutte de sang. Elle exige aussi que la cartouche sur laquelle sera prélevé le sang soit miniature, pour pouvoir tenir dans la paume de la main.

Mais après des mois de tests, impossible d’avoir deux résultats similaires à partir d’un même prélèvement, à cause de ces quantités de sang trop petite. Et les tests coûtent chers. Les 6 millions de dollars levés précédemment sont engloutis. Holmes demande alors à Edmond de faire travailler son équipe 24h/24 et 7j/7, ce qu’il refuse. Elle va donc recruter une autre équipe d’ingénieurs pour former une équipe rivale travaillant sur le même projet.

L’équipe rivale est gérée par Tony Nugent, qui va s’inspirer du fonctionnement d’un robot distributeur de colle, qu’il commande pour 3000 dollars et dissèque pour comprendre son mécanisme.

Ce robot à colle devient le cœur du système Theranos, puisque Tony en crée une version réduite, capable de tenir dans une boîte en aluminium. Le fonctionnement est simple : on place l’échantillon de sang dans un tube, que l’on dispose dans une petite cartouche. On pousse ensuite la cartouche dans le lecteur de la boite. Puis le bras du robot se met au travail en reproduisant les gestes d’un laborantin humain pour réaliser les différents tests.

Quatre mois plus tard, Tony parvient à créer un prototype fonctionnel, qu’il baptise Edison.

La machine Edison de Theranos
La machine Edison de Theranos, inspirée du fonctionnement d’un robot distributeur de colle. Crédit : CNN

Quelques semaines plus tard, Edmond Ku et ses ingénieurs sont appelés dans une salle de réunion à tour de rôle, pour apprendre qu’ils sont tous licenciés. Chez Theranos, l’échec n’a pas sa place.

Holmes commence ensuite à montrer Edison un peu partout, le présentant à des investisseurs et des laboratoires, alors qu’aucune étude n’avait été faite pour évaluer la sécurité du prototype.

Holmes va ainsi convaincre Pfizer d’essayer Theranos dans le cadre d’un projet pilote dans le Tenessee. Les unités Theranos seraient disposées chez les patients, qui les utiliseraient tous les jours pour analyser leur sang. Sauf qu’une fois dans le Tennessee, les cartouches et lecteurs de Theranos ne fonctionnent pas. Et les patients de l’étude sont des patients gravement malade, atteint de cancers.

Les limites de l’Edison

Le premier (et principal) problème avec l’Edison est qu’une goutte de sang ne suffit tout simplement pas pour effectuer toute une série de tests.

Il y a un nombre fini de molécules dans une quantité donnée de sang. Certains marqueurs d’affections (comme le taux de glucose) sont très présents dans toute quantité de sang. Mais d’autres, comme certains marqueurs de maladies infectieuses, sont moins importants, ce qui signifie qu’une petite quantité de sang ne pourra pas donner une lecture précise.

Deuxième problème : contrairement au sang prélevé dans la veine du bras, le sang capillaire (prélevé au bout des doigts) est pollué par des liquides provenant des tissus et cellules qui interfèrent avec les analyses et rendent les mesures moins précises.

Hors, Theranos a promis que l’Edison pourrait effectuer un dépistage de plusieurs maladies infectieuses, comme le VIH et la syphilis. Mais les résultats de l’Edison sont bien souvent inexacts.

Par exemple, lorsqu’ils se mettent en tête de travailler sur l’épidémie de grippe porcine au Mexique, ils pensent pouvoir prédire l’emplacement du prochain foyer de grippe avec Edison. Pour cela, il leur fallait analyser le sang de patients récemment infectés.

Holmes fait jouer son réseau pour obtenir l’autorisation de l’institut de sécurité sociale mexicain pour importer 24 lecteurs dans un hôpital de Mexico City.

Sauf que sur place, les lecteurs ne marchent pas, affichent des messages d’erreurs ou des résultats négatifs sur des patients atteints du virus. La direction blâme alors une mauvaise connexion Internet et Elizabeth n’attend pas pour demander à Sunny de négocier la vente de 400 Edison au gouvernement mexicain.

Sunny, le bras droit d’Elizabeth Holmes

Il est temps de présenter un autre personnage très important dans l’histoire de Theranos : Sunny Balwani.

Sunny Balwani de Theranos
Sunny Balwani, bras droit d’Elizabeth Holmes (Source)

Peu après que Holmes ait quitté Stanford à l’âge de 19 ans, elle commence à sortir avec un certain Sunny Balwani, qui allait devenir le Président et Directeur Général de Theranos, et de vingt ans son aîné.

Les deux se sont rencontrés durant la troisième année du programme d’été de mandarin de Stanford, l’été précédant son entrée à l’université.

Sunny a travaillé pour Microsoft, puis a rejoint CommerceBid.com en 1999, dont il deviendra président et CTO, avant que la société ne soit rachetée pour 232 millions de dollars par Commerce One (dont 40 millions iront directement dans la poche de Sunny).

Son rôle et sa relation avec Holmes était dissimulés au Conseil d’Administration de Theranos, si bien que quand les différents actionnaires se déplaçaient dans leurs locaux, Sunny tenter de se cacher discrètement. Il était pourtant impliqué dans tous les aspects de l’entreprise et était la seule personne qu’écoutait Elizabeth Holmes.

Et Sunny avait la réputation d’un tyran au sein des employés de Theranos.

L’homme avait fait par exemple recruter toute une équipe d’indiens à des postes clés, qui n’étaient alors que titulaires d’un visa H1B. Leur droit de séjour aux Etats-Unis dépendait donc de leur contrat de travail, ce qui permettait à Sunny de faire pression sur cette équipe. Il allait jusqu’à vérifier lui-même les registres de sécurité tous les matins, pour voir à quelle heure leurs badges avaient été passés sur les portiques pour entrer et sortir du bureau.

La Steve Jobs Mania s’empare de Theranos

En 2007, l’entreprise est valorisée à près de 200 millions de dollars grâce à de multiples levées de fond.

Steve Jobs est alors déjà très influent, et il venait de révéler sa nouvelle idée géniale : l’iPhone.

Holmes voue un vrai culte à Jobs et Apple. Elle présente sa machine comme l’iPod de la santé, prédisant qu’il serait présent dans tous les foyers du pays.

Elle débauche même certains des employés de la firme à la pomme, dont Ana Arriola, conceptrice produit qui a travaillé sur l’iPhone, qui rejoint Theranos en laissant derrière elle 15 000 actions Apple, en tant que Directrice Architecture et Design.

Ana suggère également à Holmes de travailler son apparence, si elle voulait tenir la comparaison avec Apple. A compter de ce jour, elle ne s’est plus habillée qu’en noir, col roulé et pantalon, et s’est mis à prendre une voix très grave dès qu’elle prenait la parole en public (sujet qui d’ailleurs participera au mythe Elizabeth Holmes).

“Elizabeth Holmes forçait-elle sa voix grave ?” se demande la très sérieuse émission Inside Edition

Avie Tevanian, un des plus vieux amis de Steve Jobs et ancien directeur de l’ingénierie de Apple, rejoint également le comité administratif de Theranos et achète pour 1,5 millions de dollars d’action de l’entreprise.

Dans les premières réunions du Conseil d’Administration, Holmes présente des prévisions de recettes de plus en plus optimistes, reposant sur des contrats que la boite est en train de négocier mais qui bizarrement ne se concrétise jamais. Surtout que la société n’a pas de véritable Directeur Financier depuis 2006. Avie demande alors à voir les contrats avec les laboratoires, mais on lui dit qu’ils sont entre les mains de l’équipe juridique.

Octobre 2007 : Elizabeth veut créer une fondation, pour des raisons de fiscalité, et veut que le comité approuve l’octroi d’un fonds d’actions spécial pour le financer. En détenant le contrôle de la fondation, elle aurait la mainmise sur les droits de vote associés aux actions qui lui seraient octroyés, son vote aurait donc encore plus de poids.

Ce n’est donc pas dans l’intérêt des actionnaires de lui donner davantage de pouvoir, et naturellement, Avie vote contre.

Deux semaines plus tard, il reçoit un appel de Don Lucas, président du comité (et qui considère Holmes comme sa petite fille). Don lui annonce que Holmes n’est pas vraiment contente de lui, le jugeant déplaisant et considérant qu’il ne devait plus siéger au comité. Et après des menaces de l’avocat de Theranos, qui l’avertit que l’entreprise envisageait de le poursuivre pour manquement à ses obligations, Avie démissionne.

La tentative de putsch

Début 2008, Theranos déménage dans de nouveaux locaux à Palo Alto. L’entreprise entre officiellement dans la cour des grands de la Silicon Valley.

Siège de Theranos à Palo Alto
Les nouveaux locaux de Theranos à Palo Alto (Source)

Sauf que toujours aucun revenu majeur n’entre dans les caisses de Theranos tant que la startup ne parvient pas à prouver à ses partenaires que son système fonctionne.

Chacun des contrats avec les laboratoires prévoit donc une période d’essai, pour validation. C’est le cas de l’étude avec Pfizer.

Si Theranos ne peut pas fournir d’analyses correctes, Pfizer met fin au partenariat. Ce qu’ils finiront par faire. Mais cette décision de Pfizer reste secrète pour la majorité des employés de Theranos et du conseil d’administration.

Et lorsque Todd Surrey, alors directeur des ventes et marketing, se rend compte que Elizabeth exagérait grandement ses prévisions financières, incompatibles avec l’état d’avancement du produit, il va convaincre quatre membres du conseil d’administration de Theranos et investisseurs de demander la révocation de Holmes de son statut de CEO.

Après lui avoir annoncé leur décision, Holmes s’enferme dans la pièce avec eux, et après deux heures de monologue, parvient à les convaincre de revenir sur leur décision. Elle reconnait qu’il y avait des choses à revoir dans son management. Dorénavant, elle sera plus transparente et réceptive.

Puis une fois sa position sécurisée, sa première décision sera évidemment de licencier tous les employés impliqués dans cette rébellion.

Le partenariat avec Walgreens et les soupçons de Kevin Hunter

On se retrouve en 2009, où la startup avait grand besoin d’argent. Les 15 millions levés durant les deux premières levées de fond ont disparu depuis longtemps, suivis par les 32 millions levés fin 2006.

Il leur faut de nouveaux contrats et de nouvelles levées de fond pour continuer à se développer.

En 2010, Theranos lève 45 millions de dollars.

Cette levée de fonds parvient aux oreilles de Dr J., alors en charge d’identifier les nouvelles technologies susceptibles de relancer la croissance de la chaîne de pharmacie Walgreens, et qui se laisse séduire par le concept de Theranos.

Il se dit que la présence de ces machines dans les magasins Walgreens pourrait leur offrir une nouvelle source de revenus.

Après une rencontre avec Holmes, il monte un projet d’équiper entre 30 et 90 magasins de lecteurs Theranos dès le milieu de l’année 2011. Les clients pourraient ainsi analyser leur sang, avec une simple goutte recueillie au bout de leur doigt et récupérer leurs résultats en moins d’une heure.

Un contrat préliminaire est signé, dans lequel Walgreens s’engage à précommander jusqu’à 50 millions de dollars de cartouches Theranos et à prêter 25 millions de dollars à la startup. Si tout se passe bien, le partenariat s’étendra ensuite à tous les magasins du groupe.

Dr J. veut faire avancer le projet le plus rapidement possible. Il fait appel au bien nommé Kevin Hunter, directeur d’un bureau d’expert spécialisés dans les laboratoires. Walgreens l’embauche pour qu’il les aide à évaluer la startup et convenir d’un partenariat.

Mais une fois sur place, l’ambiance devient très vite bizarre pour Hunter.

Lors de sa première visite, lorsqu’il demande où se trouve les toilettes, Holmes se crispe, et explique qu’ils prennent ici la sécurité très au sérieux. Il allait devoir être escorté jusqu’aux toilettes. Sunny guide donc Hunter jusqu’aux toilettes, attend devant la porte et le raccompagne à la salle de réunion.

En chemin, Hunter scrute les environs à la recherche d’un labo, mais ne trouve rien qui y ressemble. Il demande à le visiter, mais on lui dit qu’ils ne veulent pas leur montrer le labo. Il demande également de se faire analyser son sang, pour pouvoir comparer les résultats avec une analyse de labo standard. Hunter avait fait cette demande deux semaines avant sa visite, mais Elizabeth lui répond que sa demande est arrivée trop tard.

Cela faisait beaucoup de signaux d’alertes pour Hunter, qui n’est pas vraiment convaincu par Theranos. Mais Dr. J. et les autres membres de Walgreens sont séduits par le charisme de Holmes et décident de continuer outre les avertissements de Hunter.

Un mois plus tard, dans les locaux de Theranos, Elizabeth Holmes dévoile donc aux cadres seniors de Walgreens le Project Beta, nom de code donné au pilote Theranos. Elle présente à son audience une liste des 192 analyses différentes que leur appareil pouvait réaliser. En vérité, plus de la moitié de ces analyses n’est pas réalisable via les techniques employées par Edison.

De même, Theranos avait au départ affirmé que ses analyses font l’objet d’une dispense vis à vis des Clinical Laboratory Improvement Amendments, lois fédérales à laquelle sont soumis les laboratoire d’analyse médicale. Mais alors que le projet avance, Theranos change son discours. Ils fourniraient finalement des analyses développées en laboratoires, ce qui les situait dans une zone grise entre la FDA et le CMS.

Quand Hunter fait part de ses doutes, les cadres de Walgreens lui répondent qu’ils ne peuvent pas risquer de voir leurs concurrents signer avec eux dans six mois. Elizabeth sait d’ailleurs très bien joué sur cette rivalité, en appuyant sur ce sentiment de FOMO, fear of missing out.

Dans ses contrats, Theranos fournit des documents affirmant que leur système a été validé de manière exhaustive sur les sept dernières années par dix des plus grands laboratoires pharmaceutiques du monde. A ces affirmations s’ajoute un compte rendu sur cette technonologie réalisé par l’école de médecine de l’université Johns Hopkins.

Kevin Hunter contacte alors les laboratoires cités mais aucun ne semblait se souvenir de quoi que ce soit concernant Theranos, et le compte rendu de l’université John Hopkins n’en était finalement pas vraiment un.

Les équipes de Theranos avait en vérité montré à l’équipe de Hopkins des données, qui ont qualifié cette technologie de novatrice et intelligente. Mais l’université n’avait procédé elle-même à aucune vérification indépendante.

Se trouvait même au pied de la seconde page du compte rendu une clause de non responsabilité citant clairement :

“Le document fourni ne peut en aucun cas être considéré comme une forme de validation de la part de l’université”.

Hunter continue alors de poser des questions qui dérangent à chaque visioconférence hebdomadaires entre Theranos et Walgreens, jusqu’à ce qu’un jour, début 2011, un membre de Walgreens lui annonce que Holmes et Sunny ne veulent plus qu’il y assiste. Il crée trop de tension et nuit à leur efficacité. Si Hunter venait encore, Theranos mettait fin au partenariat.

En parallèle de Walgreens, Theranos se rapproche aussi de Safeway, une des plus grandes chaines de supermarchés du pays.

Steve Burd, le CEO, s’intéressait aussi à Theranos, et les deux entreprises signent rapidement un contrat ensemble. Safeway prête 30 millions de dollars à Theranos et s’engage à prendre en charge une rénovation massive de ses points de vente pour dégager de la place afin d’y installer des petites cliniques où les clients pourront faire analyser leur sang.

Après l’Edison, vient le miniLab

Suite à ces contrats juteux pour Theranos, s’impose un nouveau problème : Elizabeth a promis aux entreprises une technologie capable de réaliser des centaines d’analyses à partir d’une toute petite quantité de sang.

Ce qui était impossible à l’heure actuelle pour l’entreprise.

La technique employée par Edison ne peut pas mesurer des choses très communes comme le taux de cholestérol ou la glycémie. Il leur faut un nouveau dispositif.

Elle recrute alors Greg et Kent, deux anciens ingénieurs de la NASA et de SpaceX, à qui elle demande de mettre au point le miniLab, un tout petit appareil capable de tenir sur un bureau ou une étagère et qui devra faire toutes les analyses possibles.

S’il existe déjà sur le marché des appareils portatifs d’analyse de sang, aucun ne peut alors réaliser plus de 30 analyses différentes.

Et surtout, partir de la dimension de l’objet pour ne se soucier de son fonctionnement qu’après coup, c’est mettre la charrue avant les boeufs. Quand on met au point des nouvelles technologies, comme cela a par exemple été le cas avec les ordinateurs, qui prenaient au départ la place d’une salle entière jusqu’à pouvoir rentrer aujourd’hui dans une enveloppe.

Mais Holmes n’avait pas le temps de se pencher trop près sur le développement produit.

En Octobre 2011, lorsque la nouvelle de la mort de Steve Jobs tombe, Elizabeth Holmes et Sunny veulent lui rendre hommage en hissant un drapeau Apple au dessus de leur bureau. Mission qui a retenu leur attention durant toute une journée.

Quelques semaines après sa mort, les employés remarquent qu’elle adopte alors des comportements et techniques de management décrits dans la biographie de Walter Isaacson sur Jobs. Comme eux-aussi lisaient le livre, ils arrivaient à deviner où elle en était dans sa lecture à partir de ses imitations. Elle donne même comme nom de code au miniLab “4S”.

A la fête de Noel de 2011, Holmes déclare :

“Le mini lab est la chose la plus importante que l’humanité ait jamais construite. Si vous pensez que ce n’est pas le cas, je vous suggère de quitter les lieux. Tout le monde doit travailler aussi dur qu’il est humainement possible de le faire pour qu’il voie le jour. Je n’ai peur de rien, sauf des aiguilles”.

Greg finit par avoir un prototype de miniLab. Mais alors que la plupart des entreprise font passer leur prototype par plusieurs cycles de conception et validation avant de le mettre sur le marché, Elizabeth est déjà en train de commander des composants pour fabriquer 1000 miniLab, en sa basant sur un seul prototype qui n’avait pas encore subi le moindre test.

Le partenariat avec Safeway et les soupçons de Kent Bradley

Pendant ce temps en février 2012, Safeway commence le réagencement de la moitié de ses 1700 magasins pour y installer des cliniques premium, pour un budget de 350 millions de dollars de travaux, assumés entièrement par la chaîne de supermarchés.

Avant le lancement, en tant que dernier essai, Theranos effectue des analyses de sang dans une clinique que Safeway a ouvert sur son propre campus d’entreprise, sous la supervision de Kent Bradley, directeur médical de Safeway.

Sauf que Kent remarque que sur le campus, il n’y a aucune machine Theranos. A la place, seulement deux employés sont présents pour effectuer les prélèvements, ensuite envoyés aux locaux de Theranos pour être analysés.

Et chose encore plus curieuse, ces employés prélèvent deux fois le sang des employés de Safeway : une première fois pour prendre juste une goutte au bout du doigt, puis une seconde fois via la méthode classique de l’aiguille dans le bras.

Enfin, les résultats mettent jusqu’à deux semaines à être envoyés aux patients, et Kent remarque que certaines analyses ne sont même pas faites par Theranos, mais par un autre labo. Pour couronner le tout, celles faites par Theranos sont souvent fausses, annonçant des résultats anormaux à des employés pourtant en bonne santé.

En réalité, pas une seule de leur machine n’est utilisée dans le laboratoire de Theranos. Ce dernier est plutôt rempli d’une quinzaine d’appareils classiques commercialisés par des entreprises comme Abbott et Siemens.

Même cette supercherie ne suffit pas à garantir des résultats corrects, le souci principal étant la pénurie de personnel expérimenté ainsi que des échantillons sanguin et du matériel pollué ou périmé. Les micros échantillons de sang prélevés par Theranos sont récoltés dans ce qu’ils appelaient des “nanotainer”, petites éprouvettes pas plus grande qu’une pièce d’un euro. Sauf que ces nanotainers ont des défauts, le sang y coagule facilement, entraînant de nombreuses erreurs dans les analyses.

L’essai chez Safeway dure toute l’année 2012.

Plus les mois passent, plus les cadres de Safeway s’impatientent, ne voyant jamais arriver les résultats de tout cet investissement.

Non seulement Safeway prévoyait 250 millions de dollars de recettes par an grâce à ce partenariat, qui n’avaient toujours pas vu le jour, mais en plus ils avaient dépensé 350 millions pour ce partenariat, en créant des centres de bien être inexploités, occupant une surface commerciale précieuse qui aurait pu être utilisée pour d’autres projets plus rentables.

Finalement en janvier 2013 le CEO de Safeway, Steve Burd, prend sa retraite poussé par les actionnaires.

Walgreens et Safeway attendent donc depuis longtemps le début du partenariat, mais le miniLab est loin d’être prêt.

Elizabeth décide donc d’abandonner complètement le miniLab et de ressortir du placard l’Edison pour se jeter dans le grand bain avec.

C’est là qu’une autre décision fatidique a été prise : la décision de tricher.

Les équipes de Theranos commencent alors à bricoler des machines créées par leurs concurrents comme Siemens pour qu’elles soient en mesure de traiter des échantillons sanguins bien plus petits.

Cela implique que le sang soit dilué deux fois. Hors, plus on dilue un échantillon de sang, plus on risque l’erreur. Et cette double dilution abaisse la concentration des analyses dans le sang à des niveaux inférieurs à ceux autorisés par la FDA.

L’idée est donc d‘utiliser ces appareils d’une façon que ni les fabricants ni les autorités n’ont approuvés. Theranos achète 7 de ces appareils à Siemens, pour plus de 100 000 dollars

Le management tyrannique d’Elizabeth Holmes

En dehors de tous les problèmes techniques que rencontrait Theranos, les problèmes en interne entre les salariés et la direction sont légion.

Licenciements

Vous l’aurez sûrement déjà remarqué, les licenciements abusifs sont monnaie courante chez Theranos.

Le taux de départ des salariés y est très élevé, et pas seulement au niveau des postes subalternes, mais aussi les cadres seniors. Par exemple le CFO Henry Mosley a disparu un beau jour sans que le reste de l’équipe ne sache pourquoi.

Sunny avait pour habitude de terroriser les employés suite à la publication de critiques négatives de Theranos sur Glassdoor, qui étaient pourtant courantes. Sunny s’assurait donc qu’elles soient contrebalancées par un flux constant de fausses critiques positives qu’il ordonnait aux RH de rédiger.

Quand un employé était viré, le directeur du département informatique devait révoquer les droits d’accès de l’employé au réseau de l’entreprise et l’escorter hors des locaux. Il lui était parfois demander d’enquêter sur un individu renvoyé et monter un dossier qu’Elizabeth Holmes pourrait utiliser contre lui en cas de litige.

Ce type d’enquête faisait partie de tout un tas de procédures mises en place pour protéger les soi-disants secrets industriels de Theranos.

Surveillance

En fait, Elizabeth est tellement soucieuse de préserver la propriété industrielle de l’entreprise, de manière souvent exagérée, que tous les employés et visiteurs devaient signer des clauses de confidentialité.

Au sein de l’entreprise, elle contrôlait minutieusement la circulation des informations. Impossible de brancher une clé USB sur un ordinateur de la boite sans que Bissel, le directeur informatique, n’en soit informé. (Un employé a même été renvoyé pour ça.)

Les assistants administratifs de Holmes devenaient amis sur Facebook avec les employés pour lui rapporter ce que postaient les uns et les autres.

Un des assistants notait les heures d’arrivée et de départ des employés pour rapporter combien d’heures chacun passait au travail. Et pour inciter les gens à travailler plus longtemps, elle faisait livrer le diner tous les soirs. Impossible de partir du bureau avant 22h.

Les employés étaient interdits de mentionner Theranos sur leur profil Linkedin, mais plutôt “société privée de Biotech”.

Ils interdisaient l’utilisation de Google Chrome, persuadés que Google pouvait utiliser le navigateur pour espionner la R&D de Theranos.

Toutes ces précautions visaient soi disant à protéger des secrets industriels, mais servaient surtout de moyen pour Holmes de préserver ses mensonges sur l’état d’avancement de la technologie Theranos.

Quand le conseil d’administration de Theranos se réunissait, il était demandé aux employés d’avoir l’air affairés et de ne pas regarder les membres du conseil dans les yeux quand ils traversaient les locaux.

Holmes avait d’ailleurs la main mise sur tout Theranos. Le comité n’était rien qu’une vitrine de son entreprise. En décembre 2013, elle a adopté une résolution attribuant 100 voix à chaque action qu’elle détenait, lui conférant 99.7% des droits de vote. Le conseil ne votait jamais chez Theranos, c’était inutile.

Travail en silos

Et toujours dans l’objectif annoncé de protéger les secrets industriels de Theranos, Elizabeth avait l’habitude d’absolument tout compartimenter.

L’équipe ingénierie et l’équipe biochimiste reportait à Elizabeth mais n’était pas encouragées à communiquer entre elles. Seule Holmes connaissait l’avancement précis du projet.

L’information était constamment divisée en silos, ce qui ralentissait la communication entre les employés et les différents départements. Et impossible d’échanger des messages instantanés entre collègues.

Ces mesures étaient prises au nom de la protection de la propriété intellectuelle et industrielle, mais ont surtout causé des heures de productivité perdues.

Pression sur les employés

Les employés n’avaient pas leur mot à dire. Holmes et Sunny considéraient que toute personne qui leur faisait part d’une préoccupation ou les remettait en question était un cynique et rabat joie. Ceux qui le faisaient malgré tout était dans un placard ou licenciés.

Et si les salariés avaient le malheur de ne pas dédier tout leur temps à Theranos, cela se passait très mal pour eux.

Par exemple, Kent, un des anciens ingénieurs de la NASA, travaillait pendant son temps libre sur un projet perso : des phares pour vélo éclairant les deux roues et la route.

Après avoir levé 215 000 dollars sur Kickstarter en 45 jours (parmi les plus importante levée de fonds sur la plateforme de cette année), il a partagé le succès de son projet à Holmes, qui en est devenue furieuse. Pour Theranos, la situation présentait un conflit d’intérêt majeur. Elizabeth a alors demandé de céder ses brevets d’éclairage à Theranos, qui serait propriétaire de tout ce que l’employé produirait en y étant employé.

Kent refuse. Ce projet avait lieu pendant son temps libre et n’avait rien à voir avec l’activité de Theranos. Ils ont fait alors intervenir leur avocat. Ils voulaient le punir pour ce qui était considéré comme un manque de loyauté de sa part. Finalement, Kent a pu avoir une autorisation d’absence pour tenter de pérenniser son invention.

Népotisme

Si les rabat joies étaient virés, les lèches bottes eux, étaient promus.

Elizabeth va même recruter son petit frère Christian en 2011, au poste de directeur associé à la gestion de produit. Il venait d’achever son cursus deux ans plus tôt et n’était pas du tout qualifié pour ce poste ni ce secteur. Mais il était une personne de confiance.

Christian a vite recruté quatre amis de sa fraternité, qui n’était pas plus qualifiés mais leur amitié avec Christian les plaçait au dessus de la plupart des autres employés dans la hiérarchie de l’entreprise et ils avaient accès à plus d’informations.

Surnommés “Frat Pack” et “Therabros” par les autres employés, ils étaient au moins toujours enclins et motivés pour exécuter les ordres d’Elizabeth et Sunny.

Le triste parcours de Ian Gibbons

Mais peut-être l’histoire la plus tragique qui démontre bien tous les problèmes internes chez Theranos, est l’histoire de Ian Gibbons.

Premier scientifique embauché par Elizabeth en 2005, Ian Gibbons a son nom sur la majorité des brevets déposés par Theranos.

Mais alors que l’entreprise de développe, Ian est de moins en moins satisfait et de plus en plus sceptique, surtout face aux méthodes de management d’Elizabeth et au peu de sérieux accordé au développement des produits Theranos.

En automne 2010, il s’en plaint ouvertement à un membre du conseil d’administration de Theranos. Ce dernier le répète à Holmes, qui le licencie aussitôt.

Le lendemain, Sunny le rappelle pour lui proposer de revenir au poste de conseiller technique du groupe de chimie générale, groupe qu’il dirigeait auparavant. Une rétrogradation qu’il vit très mal, encore plus quand on lui retire son bureau privé quelques mois plus tard.

En parallèle, Ian a des soucis de santé et commence à sombrer dans la dépression.

Mais en 2013, Theranos intente un procès à Richard Fuisz dans le cadre d’un litige autour d’un brevet. Pour préparer sa défense, Fuisz se renseigne sur les brevets déposés par Theranos et voit le nom de Ian Gibbons sur presque tous. Fuisz veut alors le faire témoigner pour comprendre son implication sur les brevets de Theranos.

Parce que si le nom de Holmes figurait sur tous les brevets, sa contribution réelle était négligeable. Et si cela se faisait savoir, les brevents pourraient être invalidés.

Ian se retrouve dans une position compliquée et comprend bien que son futur professionnel dépendra de sa déposition, suscitant chez lui une angoisse énorme.

Il reçoit finalement sa convocation pour le 17 mai à 9h du matin.

Mais deux jours avant sa comparution, les avocats de Theranos encouragent Ian à invoquer ses problèmes de santé pour se soustraire à cette déposition. Ils lui envoient même une lettre type à adapter et faire signer par son médecin.

Puis la veille, Ian finit par s’ôter la vie, en ingérant une énorme quantité de paracétamol.

Chez Theranos, son décès est abordé avec la même approche froide et méthodique. La plupart des employés n’en sont pas informés. Seuls les anciens employés reçoivent un courriel de Holmes où il est mention d’un service commémoratif pour lui rendre hommage, qui n’aura finalement jamais lieu.

Theranos se change en licorne

De l’extérieur tout baigne pour Theranos et le partenariat avec Walgreens se concrétise.

D’ailleurs, le 7 septembre 2013, pour soutenir le lancement commercial des services d’analyse de sang de Theranos, un article est publié dans le Wall Street Journal pour annoncer l’ouverture du premier centre de bien être Theranos dans un magasin Walgreens de Palo Alto.

Cet article de presque une page est évidemment très élogieux sur Elizabeth et Theranos. Il compare le prélèvement sanguin à du vampirisme et décrit les procédés de Theranos comme nécessitant des quantités microscopiques, pour des résultats plus rapide et précis et moins coûteux.

Ce lancement et cet article, écrit par George Shultz, ancien secrétaire d’Etat et grand ami d’Elizabeth, allait être utilisé pour lancer une nouvelle campagne de financement.

En 2013, c’est la folie de l’investissement dans les startup tech de la Silicon Valley.

On parle alors de licornes pour désigner les startups évaluées à 1 milliard de dollars ou plus. Au lieu de se précipiter pour faire leur entrée en bourse, ces licornes vont plutôt lever des sommes énormes en privé, évitant le coup de projecteur généré par une entrée en bourse.

La figure de proue de ces licornes était Uber, valorisé alors à 3.5 milliards de dollars. Spotify, à 4 milliards. Mais ces boites allaient vite se faire dépasser par Theranos.

L’article du WSJ a attiré l’attention de gros investisseurs, comme James et Brian Grossman de Partner Fund Management.

En décembre 2013 les deux hommes sont invités à une réunion chez Theranos. A leur entrée plusieurs vigiles les attendent et ils doivent signer des accords de confidentialité pour rentrer. Impressionnés par toutes ces mesures de sécurité, ils se disent que la boite a sûrement une énorme propriété intellectuelle à protéger.

Sunny et Holmes leur annoncent que leur technologie brevetée peut effectuer des analyses de sang fiables en présentant des données issues des machines de Theranos aussi précises que les machines conventionnelles. Sauf que les données présentés n’ont en réalité pas été faites avec les appareils de Theranos mais avec ceux des appareils de Bio Rad.

Ils annoncent aussi que 98% des 300 analyses de sang possible avec Theranos se font avec une goutte de sang, et d’ici six mois, ce serait 100%. De même, James et Brian apprennent que leur technologie est validée par l’administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments, la FDA. Ils sont capables de réaliser 70 analyses différentes sur un seul échantillon de sang capillaire, et bientôt ce sera plus.

Sauf qu’en vérité cette prouesse, c’est le Graal dans le domaine de l’analyse. Cela faisait plus de 20 ans que des milliers de chercheurs poursuivaient cet objectif.

Ils affirment aussi que les appareils sont utilisés sur le terrain par l’armée américaine, ce qui était pure fiction.

Mais Theranos a aussi un conseil d’administration impressionnant, avec des hommes réputés dans le domaine de l’investissement et aux CVs bien remplis, comme des anciens responsables militaires et des membres du congrès, qu’Elizabeth avait approché grâce à son réseau et à qui elle a offert des sièges au conseil d’administration en échange d’actions.

Theranos leur promet des bénéfices bruts à 165 millions de dollars sur des recettes à 261 millions pour 2014, et 1,68 millions pour 2015. Ces chiffres sont inventés de toutes pièces par Sunny, la boite n’ayant pas de directeur financier depuis 2006.

Ainsi en février 2014, Partner Fund est convaincu, et achète plus de 5 000 000 d’actions, soit un investissement de 96 millions de dollars, valorisant l’entreprise à 9 milliard de dollars.

Theranos devient alors une des startups les plus valorisées au monde.

Elizabeth, qui possède un peu plus de la moitié de l’entreprise, pèse alors près de 5 milliards à elle seule et devient la plus jeune self-made milliardaire de l’histoire.

Elle a accompli son rêve, elle est milliardaire et son entreprise va apporter un changement bénéfique au monde entier. Du moins sur le papier.

Parce que personne n’est valorisé à 9 milliards de dollars sans attirer l’attention sur soi. Et si toute cette attention va d’abord plaire à Elizabeth, elle va vite se retourner contre elle.

Theranos lance sa communication

Alors que le partenariat avec Walgreens s’apprête à être annoncé au grand public, Elizabeth se dit qu’il est temps de travaille sur l’image de marque de Theranos.

Elle engage l’agence d’Apple, CHIAT/DAY, à l’origine du spot iconique de 1984 et du slogan Think Different, pour la petite somme de 6 millions de dollards par an. Ils ont pour mission de rendre le lancement commercial de Theranos aussi percutant que possible.

L’agence décide que la meilleure représentation visuelle de Theranos était le nanotainer, ce flacon miniature conçu pour recueillir le sang au bout du doigt, plus petit qu’une pièce de 10 cents. Et ils choisissent pour slogan

“One tiny drop changes everything.”

Visuel de la campagne publicitaire de Theranos (Source)

Lancement du partenariat avec Walgreens

Le partenariat avec Walgreens se concrétise enfin à Phoenix, en Arizona, endroit stratégique car beaucoup de gens n’y ont pas d’assurance maladie et seront donc intéressés par les analyses moins coûteuses proposées par Theranos

Sauf que les échantillons prélevés dans les magasins de Phoenix sont envoyés dans des glacières par FedEx a Palo Alto pour y être analysés. Hors, les échantillons se réchauffaient lorsqu’ils restaient à soleil, ce qui faisait coaguler le sang dans les petits tubes.

De même, l’analyse de potassium pose problème, les résultats étant toujours trop élevés. Theranos met alors en place une règle précisant qu’aucun résultat de potassium au delà d’un certain seul ne pouvait être communiqué à un patient.

Autre problème : tous les laboratoires cliniques doivent se soumettre trois fois par an à des essais d’aptitude, test conçu pour repérer les laboratoires dont les résultats ne sont pas exacts. Des organismes dédiés envoient aux laboratoires des échantillons de plasma sanguin en leur demandant de leur faire passer diverses analyses. Analyses que le laboratoire Theranos a toujours effectuées avec des appareils achetés dans le commerce.

Mais les Edison étant désormais utilisés sur des patients, le personnel du laboratoire a voulu mesurer comment les appareils de Theranos performeraient à cet exercice.

Et les résultats du Edison sont très différents des autres machines. En apprenant cette expérience, Sunny exige qu’ils y mettent fin et qu’ils renvoient les résultats des machines achetées, ce qui est illégal puisque ces essais d’aptitude doivent être traités et analysés de la même manière que les échantillons de patients.

Un des employés du laboratoire, Tyler Shultz, dépose une plainte anonyme auprès du Laboratory Investigative Unit de l’Etat de New York.

Fake it until you make it

En positionnant Theranos comme une entreprise tech de la Silicon Valley, Elizabeth Holmes a canalisé cette culture du fake it until you make it comme moteur de réussite, se donnant un mal fou pour cacher la partie fake de l’équation.

Theranos n’est pas la première startup a recourir à cette “stratégie”. En plein cœur de l’été 2018, le quotidien britannique The Guardian s’est intéressé à six startups prometteuses, dont Spinvox, entreprise qui s’était positionnée dès 2008 comme une experte dans le domaine de l’Intelligence Artificielle. La société prétendait en effet recourir à l’IA pour convertir les messages vocaux en SMS. Mais dans les faits, il n’y avait pas d’intelligence artificielle, plutôt des armées d’opérateurs enrôlés dans des centres d’appels situés à l’étranger.

Sauf que tricher quand on opère dans le domaine de la data et de l’IA est une chose. Tricher lorsque l’on manipule des données médicales pouvant mettre en danger la vie de patients en est une autre, bien plus grave.

De l’extérieur, Theranos continue de simuler la vie de start-up pour qui tout roule et attire l’attention de Roger Parloff, journaliste chez Fortune.

Il rencontre Holmes et s’entretient avec elle pendant plus de sept heures. Elle lui offre un scoop : Theranos vient de lever plus de 400 millions de dollars, ce qui valorisait la startup à 9 milliards de dollars, faisant d’elle l’une des plus solides de la Silicon Valley.

Elle raconte les mêmes mensonges sur les 70 analyses faites à partir d’un échantillon de sang prélevé au bout du doigt et sur les 200 analyses réalisées depuis l’appareil Theranos.

C’est ainsi que le 12 juin 2014, elle se retrouve en couverture de Fortune, col roulé noir, rouge à lèvre rouge vif, sous le titre qui stipule “Cette CEO en a après votre sang”.

elizabeth holmes en couverture du magazine Fortune
Elizabeth Holmes en couverture du magazine Fortune (Source)

Pour la première fois, l’estimation de la valeur de Theranos est révélée, avec le fait que Holmes en possédait plus de la moitié. L’article inclue un passage sur la phobie des aiguilles d’Elizabeth, détail qui sera repris en masse dans tous les reportages qui ont suivi, devenant central dans la construction du mythe Elizabeth Holmes.

Forbes écrit un article dans la foulée sur la plus jeune self made Woman a devenir milliardaire. Elle fait la couverture du numéro annuel du magazine Forbes 400 sur les personnes les plus riches d’Amérique.

Elizabeth Holmes en couverture de Forbes
Elizabeth Holmes en couverture de Forbes (Source)

Elle passe ensuite dans USA Today, Fast Company, Glamour, NPR, à la télé sur Fox Business, CNBC, CNN, CBS News.

Elizabeth Holmes invitée sur le plateau de CBS This Morning

S’en suit une cascade d’invitations à toutes sortes de conférences. Le magazine Time la nomme parmi les100 personnes les plus influentes au monde, Obama la nomme ambassadrice des Etats-Unis pour l’entrepreneuriat à l’international, et elle rejoint le conseil d’administration de la Harvard Medical School.

La Silicon Valley a enfin sa première start-upeuse milliardaire du monde de la tech.

Et toute cette attention n’est pas pour déplaire à Elizabeth Holmes, qui va se comporter comme une vraie personnalité médiatique. Si tous les créateurs de startup accordent régulièrement des entretiens et font des apparitions publiques une fois qu’ils gagnent en notoriété, ce n’est jamais autant qu’à pu faire Elizabeth qui devient omniprésente. Son équipe de sécurité passe à 20 personnes, toujours accompagnée de deux gardes du corps.

Dans ses interviews, elle répète à qui veut bien l’entendre que grâce à Theranos nous n’aurons bientôt plus à faire nos adieux à un être cher bien avant l’heure.

Theranos passe le cap des 500 employés, déménage dans de nouveaux locaux, les anciens de Facebook et le bureau de Holmes est équipé de fenêtres pare-balles.

En décembre 2014, le New Yorker publie un long portrait d’Elizabeth.

Cet article tombe sous le nez d’Adam Clapper, spécialiste des analyses de sang et blogueur, qui à sa lecture se montre assez dubitatif. L’article lui-même montre d’ailleurs un peu de scepticisme, précisant que Theranos n’a jamais publié de données officielles revues par ses pairs.

Ce à quoi Holmes répond en citant un article qu’elle a coécrit dans une revue médicale, Hematology Reports. Clapper cherche alors l’article en question, qui ne contient en vérité des données que pour une seule analyse de sang réalisée sur six patients. Adam écrit un article sur son blog pour partager ses trouvailles et son scepticisme sur la vraie innovation de Theranos.

Adam Clapper veut aller plus loin et démasquer ce qu’il est persuadé d’être une arnaque, mais se dit que c’est plutôt le travail d’un journaliste d’investigation. Il va alors contacter John Carreyrou, journaliste au Wall Street Journal.

John Carreyrou entre en piste

Adam raconte au journaliste être tombé sur ce qu’il pense être une grosse affaire. John, qui vient tout juste de finir un gros dossier, a du temps à donner à un nouveau projet.

Il se replonge sur l’article du New Yorker et remarque l’absence d’évaluation par des pairs pour étayer les affirmations scientifiques de l’entreprise, ce à quoi aucun progrès médical sérieux n’a pourtant coupé auparavant.

La façon dont Holmes décrit le fonctionnement de ses appareils d’analyse top-secrets est assez risible, comme si tout droit sorti de la bouche d’un enfant.

“Nous procédons à une manipulation chimique, afin qu’une réaction ait lieu. Cette réaction produite génère un signal, lui-même traduit en résultat, et ce résultat est examiné par du personnel de laboratoire certifié.”

Et puis le fait qu’une étudiante qui a abandonné ses études avec juste deux semestres de génie chimique devienne une pionnière de la high tech biomédicale, c’est louche.

Cela peut arriver dans la tech, avec des génies comme Zuckerberg qui arrivent à coder très jeunes, mais la médecine est un domaine différent qui ne s’apprend pas tout seul. Il faut des années de formation et des décennies de recherche pour progresser.

John parvient à contacter des employés de Theranos qui acceptent avec hésitation à témoigner, tant qu’ils sont protégés par l’anonymat.

Un d’entre eux, Alan, ancien directeur du laboratoire de Theranos, lui apprend par exemple que les appareils Theranos ne fonctionnent pas, font beaucoup d’erreurs et échouent aux contrôles qualité. Theranos ne les utilise que pour un petit nombre d’analyses et la majorité est donc faite via des instruments disponibles dans le commerce, avec des mini-échantillons de sang dilués et dilués à nouveau.

John apprend aussi que la gestion quotidienne de l’entreprise est gérée par Sunny Balwani, que l’employé décrit comme un tyran malhonnête dont l’outil de management principal est l’intimidation, et qui entretient une liaison avec Holmes.

Theranos ne voulant pas faire savoir les limitations de sa technologie a donc trouvé le moyen d’utiliser les tout petits échantillons, leur marque de fabrique, sur des machines conventionnelles. Mais en diluant les échantillons, le liquide est moins concentré en analytes et les machines classiques ne peuvent plus mesurer ces analyses avec la même précision.

Il découvre aussi que Theranos enfreint des règles fédérales mises en place pour contrôler les compétences des labos, en trichant aux essais d’aptitude. Le laboratoire de Theranos est divisé en deux parties. L’une contient les analyseurs achetés dans le commerce et l’autre les appareils Edison. Au cours de son inspection du laboratoire, un inspectrice d’état n’a visité que la partie où l’on utilisait les analyseurs qui n’avait pas été conçus en interne.

Holmes a fait des promesses démesurées, et lorsque ces promesses s’étaient révélées impossibles réaliser, elle a dû tricher. Mais tricher avec un outil médical sur lequel les gens comptent pour prendre des décisions de santé importantes est inadmissible. Un faux positif peut entraîner une procédure médicale inutile et coûteuse pour un patient. Mais un faux négatif est pire, un patient dont l’état grave n’est pas diagnostiqué pourrait en mourir.

“Le fonctionnement de Theranos, c’est comme essayer de construire un bus en même temps qu’on le conduit. Quelqu’un va finir par se faire tuer”, témoigne un employé interrogé par John.

John doit désormais trouver d’autres sources et prouver que Theranos produisait des résultats inexacts.

Il identifie des médecins qui ont reçus des rapports de laboratoires douteux et ont envoyé leurs patients refaire leurs analyses ailleurs. Il est donc allé à Phoenix, où Theranos opérait dans plus de quarante lieux de soin.

Une médecin lui raconte avoir dû envoyer un des patients aux urgences à cause de résultats d’analyse alarmistes reçus par Theranos, qui n’étaient en fait qu’une fausse alerte. Le test laissait croire que la patiente allait subir un AVC. Elle a donc passé quatre heures aux urgences le soir de Thanksgiving, où elle a subi divers tests dont un scanner. Au final tout était normal. Par précaution, elle a du passer deux IRM la semaine suivante. Cette histoire montre les conséquences émotionnelles et financières d’une frayeur provoquée par des résultats inexacts. La patiente s’assurant elle-même, les urgences et IRM lui ont coûté 3000 dollars qu’elle a dû payer de sa poche.

Il recueille ainsi d’autres témoignages de médecins. Une lui dit que si elle avait fait confiance aux résultats Theranos, elle aurait augmenté la dose médicamenteuse d’une de ses patientes enceinte à l’époque. Cette augmentation aurait rendu son taux d’hormones thyroïdiennes trop élevé et aurait mis sa grossesse en danger.

John fait l’expérience lui-même, et se rend chez Walgreens pour faire un test. Il est d’abord surpris quand on lui fait un prélèvement dans la veine du bras et non au bout du doigt comme annoncé. Certaines analyses de son ordonnance demande apparemment un prélèvement veineux.

En vérité, sur les 240 test proposés par Theranos, seulement 80 sont possibles avec le prélèvement capillaires. Sur ces 80, une dizaine est réalisée avec la machine Theranos, le reste sur les Siemens. Les 160 autres test exigent d’avoir recours à ce que Holmes compare alors dans les médias à un appareil de torture médiéval, l’aiguille hypodermique.

John fait ensuite les mêmes tests dans un laboratoire traditionnel.

En comparant les résultats, Theranos lui annonce que trois dosages sont anormalement élevées et un trop bas, tandis que son taux de cholestérol est optimal. Le vrai laboratoire lui donne l’inverse, les dosages sont dans la norme, mais son cholestérol élevé.

Peu de temps après, John est contacté par l’agence de relations public de Theranos, informée de son enquête et désireuse le rencontrer. John partage avec eux ses avancements. La politique de son journal veut en que les personnes sur lesquelles portent un enquête soient toujours informées.

John Carreyrou en profite pour demander s’il pourrait organiser une interview avec Holmes et une visite du siège et du laboratoire de Theranos. ‘’Elizabeth Holmes était trop occupée pour vous rencontrer” lui répond-on.

Pendant ce temps, Theranos fait tout pour empêcher l’enquête d’avancer et veut retrouver les employés anonymes et médecins qui ont témoigné pour les faire taire. Ils arrivent à en identifier certains, à qui ils envoient leurs avocats.

On leur explique que s’ils veulent éviter un procès, ils doivent se soumettre à un entretien avec leurs avocats et leur révéler toutes les informations qu’ils ont communiqué sur Theranos et à qui.

Theranos fait l’autruche

Début juillet 2015, Theranos apprend que la FDA vient d’approuver l’analyse conçue par l’entreprise pour détecter le HSV1, l’une des deux souches du virus de l’herpès.

Pour Theranos la validation de cette analyse est la preuve que sa technologie fonctionne. Ce genre d’analyse est en vérité très simple à faire, car il s’agit seulement de dire si oui ou non la personne est malade. Pas besoin de quantité précises à évaluer. Cette validation, valable sur ce test uniquement, n’est en aucun cas une approbation générale de la technologie de Theranos.

Theranos opère toujours dans un flou juridique total. L’entreprise n’utilise les machines qu’elle avait elle-même conçues qu’à l’intérieur de son propre laboratoire et ne cherche plus à les commercialiser. Elle peut continuer d’échapper à un examen de la FDA. Mais elle donne l’impression de coopérer avec l’agence en soutenant publiquement la réglementation des analyses développées en laboratoire.

De plus, une nouvelle loi est sur le point d’entrer en vigueur en Arizona permettant de faire analyser son sang sans l’ordonnance d’un médecin. Projet de loi presque rédigé par Theranos, qui a fait des pieds et des mains pour que le projet aboutisse.

Fortune lui accorde un second article, à l’occasion du test de dépistage du virus Ebola que Theranos était en train de mettre au point. Holmes invite le journaliste à venir assister en personne à une démonstration dans leurs locaux.

Holmes insiste pour que Parloff, le journaliste, fasse aussi un test de potassium (sans doute car John est en train de remettre en question cette analyse là). Il est donc prélevé de deux gouttes de sang, une pour Ebola et une pour le potassium.

Puis les machines se mettent à charger. Très longtemps. Le cercle de chargement s’affichant sur l’écran se remplit très très lentement. Si lentement que l’on aurait pu croire qu’il n’avançait pas du tout.

Voyant cela, Parloff se dit qu’il ne peut pas attendre aussi longtemps et annonce devoir partir travailler.

Sauf que ce temps de chargement long n’a rien d’un bug. Un des ingénieurs logiciel Theranos a été chargé d’écrire un programme qui masquerait les dysfonctionnements lors des analyses. Si quelque chose tourne mal à l’intérieur de la machine, le programme se met en marche et empêche qu’un message d’erreur apparaisse, remplacé une jauge de progression très (très) lente.

Holmes à l’habitude d’utiliser ces “démonstrations” pour convaincre les membres du conseil d’administrations, investisseurs et journalistes que leur produit est fini et fonctionnel.

Quand ces démonstrations ont lieu au sièges, les employés de Theranos placent l’échantillon du visiteurs dans la machine, puis attendent que le visiteur quitte la salle pour sortir l’échantillon de la machine et l’analyser avec un des appareils Siemens.

C’est ce qu’ils ont fait pour Parloff.

Le concert de flûte organisé pour le Vice-Président

Holmes a également invité le Vice-Président Joe Biden à visiter les installations de Theranos à Newark, où se trouvent le laboratoire clinique de Theranos et le pôle de fabrication de miniLab.

Voulant impressionner le Vice-Président avec l’image d’un laboratoire de pointe entièrement automatisé, Elizabeth fait tout simplement créer un faux laboratoire.

Ils libèrent une petite pièce de leurs locaux, qu’ils font repeindre et ornent d’étagères où s’alignent des miniLab.

Le jour de la visite, la plupart des employés du laboratoire sont priés (pour ne pas dire obligés) de rester chez eux. Pendant ce temps, des photographes de presse et caméras télévision visitent l’édifice.

Elizabeth Holmes et Joe Biden
Joe Biden en visite chez Theranos (Source)

Holmes fait ensuite visiter les locaux à Joe Biden et lui montre le faux laboratoire automatisé, qu’il qualifiera de “laboratoire du futur”.

En mars, un mois après le début de l’enquête de John Carreyrou, Theranos clôture une nouvelle campagne de financement. L’investisseur principal n’est autre que Rupert Murdoch, magnat des médias contrôlant la société mère du Wall Street Journal.

Et Murdoch vient tout juste d’investir 125 millions dans Theranos.

C’est le plus gros investissement qu’il n’ait jamais fait en dehors des médias qu’il contrôle déjà, séduit par le charisme de Holmes et surtout par ses projections financières. Theranos annonce en effet des bénéfices à 330 millions de dollars sur 1 milliard de chiffre d’affaires en 2015.

Holmes en profite pour parler à Murdoch de l’article de John, disant que les informations sont fausses et causeront beaucoup de tort à l’entreprise. Ce à quoi l’homme répond qu’il fait confiance aux rédacteurs du journal pour rester honnêtes. Elle lui reparle plusieurs fois de l’enquête, espérant la faire censurer. Mais Murdoch refuse systématiquement.

La bombe est publiée dans le Wall Street Journal

L’article est publié à la une du Wall Street Journal le jeudi 15 Octobre 2015. Le titre “Les mésaventures d’une startup très prisée” frise l’euphémisme, mais le contenu est dévastateur.

Les lecteurs y apprennent tout sur les machines utilisées par Theranos, ses magouilles sur les essais d’aptitude et le danger médical auquel l’entreprise expose ses patients. L’histoire déclenche un raz de marée.

John se fait interviewé à la radio et son histoire est relayée dans de nombreux médias, incluant Fortune, Forbes et New Yorker.

Theranos réagit vite avec un communiqué de presse publié sur leur site, où ils énoncent que l’article est scientifiquement et factuellement erroné, reposant sur des affirmations sans fondement proférées par d’anciens employés inexpérimentés et mécontents.

L’article va cependant attirer l’attention de la FDA qui effectue une inspection surprise des locaux de Theranos et déclare le nanotainer comme dispositif médical non homologué et lui interdit de continuer à l’utiliser.

“Voilà ce qui arrive quand on essaye de changer les choses. D’abord on vous prend pour folle, ensuite on vous combat, et tout à coup vous changez le monde”, se défend Elizabeth Holmes dans les plateaux télévisés.

Elizabeth Holmes défend son entreprise sur le plateau de l’émission Mad Money

Le Wall Street Journal publie alors la suite de son enquête, avec d’autres révélations dont l’interdiction d’utiliser le nanotainer par la FDA.

En interne, Holmes et Sunny disent aux employés que ces articles sont plein de contre-vérités produites à partir de racontars de concurrents mécontents. Ils organisent une grande conférence avec tous les employés pour faire passer un message : “Cette situation était inévitable lorsque l’on s’attaque à tout un secteur dont les figures de proue veulent vous voir échouer.”

CONFÉRENCE

Avant les révélations du Wall Street Journal, Elizabeth Holmes était invitée à une conférence organisée par le même journal : WSJ D.Live.

Alors que tout le monde pense qu’elle annulera sa participation, elle la maintient. Pendant sa conférence, Holmes revêt sa plus belle pokerface et ment tout du long.

Elizabeth Holmes durant le WSJ D.Live

Elle présente les appareils Edison cités dans l’article comme de vieilles machines que Theranos n’utilise plus depuis des années. Elle nie le fait que l’entreprise utilise des appareils conçues par ses concurrents et qu’ils aient dilué les échantillons de sang.

“Je parie que si vous essayiez de faire cela, ça ne fonctionnerait pas. Il n’est pas possible de diluer un échantillon et de le faire traiter par une machine classique. Il y a tellement de raisons qui font que c’est la pire idée possible.”

Elle profite de l’anonymat des employés qui ont témoigné pour les discréditer, affirmant que l’un deux n’a travaillé chez Theranos que deux mois en 2005, ce qui est complètement faux.

Suite à la conférence, le conseil d’administration est remanié, désormais présidé par l’avocat de Theranos, David Boies.

Le Wall Street Journal publie d’autres articles, où l’on apprend que :

  • Walgreens a coupé court à un projet d’expansion nationale des centres de bien-être,
  • Theranos a essayé de ventre plus d’actions à un prix plus élevé quelques jours avant la publication de leur premier article,
  • Il n’y a plus de véritable directeur à la tête de son laboratoire,
  • Safeway a abandonné son partenariat secret par manque de confiance vis à vis de la fiabilité des analyses Theranos.

Holmes continue à se défendre, jouant sur la carte du sexisme. Sauf que le WSJ n’est plus les seuls à soulever des questions sur Thernoas.

Fin de partie pour Theranos

En parallèle, l’agence fédérale Centers for Medicare & Medicaid Services, ou CMS, vient inspecter les labos de Theranos. Ce qui ne devait durer que deux jours doit être allongé, tellement l’agence décèle de problèmes, et il manque à Theranos des documents de base indispensable à la gestion d’un laboratoire.

Finalement le CMS publie une lettre envoyée à l’entreprise expliquant qu’elle représente un risque immédiat pour la santé et la sécurité des patients. Le CMS donne alors dix jours pour mettre au point un plan de rectification crédible et à défaut d’une mise en conformité rapide, le laboratoire perdrait sa certification fédérale. Theranos continue de minimiser la gravité de la situation publiquement, assurant avoir déjà remédié à bon nombre de lacunes évoquées.

John réussit à mettre la main sur le rapport du CMS, malgré les tentatives de Theranos pour le maintenir confidentiel. Le rapport prouve que Holmes a menti durant la conférence du WSJ. Les Edison sont toujours utilisés, et uniquement pour 12 des 250 analyses proposées, produisant des résultats très irréguliers. Le laboratoire laisse du personnel non qualifié manipuler les échantillons de patient, entrepose du sang à la mauvaise température, laisse expirer les réactifs. John publie alors le rapport en ligne sur le site du WSJ.

Finalement, car Theranos n’a pas su corriger 43 des 45 manquements relevés par les inspecteurs, le CMS va jusqu’à menacer de bannir Holmes du secteur de l’analyse biomédicale pendant deux ans.

Holmes passe alors à l’émission Today pour réagir, où elle déclare assumer la responsabilité des échecs de leur laboratoire. Mais dans les faits, c’est plutôt Sunny qui en subira les conséquences, qu’Elizabeth Holmes va larguer et licencier.

Theranos annule en précipitation des dizaines de milliers de résultats d’analyses, y compris deux ans de tests Edison pour se mettre en conformité. La société avoue au CMS qu’il n’était pas raisonnable de se fier aux analyses réalisées sur ses appareils maisons.

Le 12 juin 2016, Walgreens met fin au partenariat et ferme tous les centres de bien-être en Arizona.

Début juillet, le CMS donne suite à sa menace : Holmes et sa société n’ont plus le droit d’exploiter un laboratoire d’analyses. Theranos fait désormais l’objet d’une enquête criminelle par le bureau du procureur américain à San Francisco et d’une enquête civelle.

La tentative d’un retour

En août de la même année, Holmes tente de sauver les meubles et s’apprête dévoiler les rouages de sa technologie secrète à l’assemblée annuelle de l’American Association for Clinical Chemistry, AACC.

Elle y dévoile la machine, qui n’était en vérité qu’un prototype défectueux, le miniLab.

Schéma du miniLab de Theranos
Visuel présenté par Elizabeth Holmes lors de l’AACC (Source)

Le miniLab est présenté comme étant capable d’optimiser les tests sanguins dans les régions du monde les plus difficiles d’accès. La machine fonctionnerait comme une sorte de scanner permettant d’effectuer rapidement des tests sur des échantillons qui sont traditionnellement réalisés manuellement. Ensuite, les informations sont transmises à un laboratoire de Theranos, qui met en œuvre un analyseur virtuel chargé d’interpréter les résultats. Sa présentation inclue des données, mais récoltées à partir d’échantillons veineux.

Si le CMS venait d’interdire à Holmes de diriger des laboratoire cliniques, son miniLab se connecte sans fil aux serveurs du siège social de Theranos et peut être déployé directement chez les patients ou dans des cabinets médicaux, éliminant le besoin d’un laboratoire central.

Cette tentative de se renouveler ne marche pas. La réputation de Theranos est trop atteinte. Le magazine Wired va par exemple résumer la conférence via un article titré “Theranos aurait pu laver sa réputation. Mais a préféré pivoter.

“Pivoter” est un mot commun dans l’univers startup, qui désigne le fait qu’une startup change son business-model et/ou son offre de produits ou services. Par exemple, le site d’avis en ligne Yelp avait débuté en 2004 comme un système automatisé permettant de demander des recommandations directes à des amis. L’idée ne trouve pas son public malgré un financement d’un million de dollars de la part d’un co-fondateur de PayPal.

Pourtant, les fondateurs ont remarqué quelque chose d’intéressant : les utilisateurs écrivaient des commentaires sur les entreprises locales juste pour le plaisir. Les fondateurs ont décidé alors de pivoter pour se concentrer sur cette fonctionnalité uniquement : la publication d’avis sur les commerces locaux.

C’est donc ce qu’a tenté de faire Theranos ici, en réinventant son business model à partir de ses produits.

Mais cela ne suffira pas à sauver Theranos.

Partner Fund, qui avait investi 100 millions en 2014, poursuit Elizabeth Holmes en justice, alléguant qu’elle et Sunny les ont trompé avec une série de mensonges, inexactitudes matérielles et omissions. D’autres groupes d’investisseurs suivent.

Walgreens, qui avait investi 140 millions chez theranos, intente sa propre action en justice contre l’entreprise.

Holmes doit fermer tous ses laboratoires. Theranos verse 4,65 millions à un fonds d’Etat de l’Arizona pour rembourser les 76 000 habitants qui ont fait analyser leur sang par l’entreprise. Dix de ces patients intentent des poursuites judiciaires pour fraude visant le consommateur et pour erreur médicale.

En 2017, Theranos a dépensé presque tous les 900 millions recueillis auprès des investisseurs, en grande partie pour des frais juridiques.

L’entreprise fonctionne alors au ralenti, après plusieurs vagues de licenciements , l’effectif est réduit à 130 employés, contre 800 en 2015.

En mars 2018, la Securities and Exchange Commission accuse Theranos, Holmes et Sunny d’avoir mené une fraude élaborée sur plusieurs années.

Pour se sortir de cette action civile, Holmes doit renoncer à son droit de vote sur l’entreprise, de rendre une partie de ses actions et payer une amende de 500 000 dollars. Elle accepte être interdie de diriger une société ouverte au public pendant dix ans.

Le 14 juin 2018, Holmes et Sunny sont inculpés pour onze fraudes électroniques, dont deux en bande organisée. S’ils sont reconnus coupables, ils risquent jusqu’à 20 ans de prison. Ils ont plaidé non coupable.

Septembre 2018, Theranos n’a plus un sou, l’entreprise est dissoute.

En tout, les personnes qui ont investi dans Theranos ont perdu près d’un milliard de dollars.

Un juge californien a fixé à août 2020 la date de début du procès pour fraude fédérale. Le procès est repoussé de nombreuses fois, prévu aujourd’hui à Mars 2021.

Que retenir de tout ça ?

L’histoire de Theranos est intéressante, car ce n’est pas une arnaque préméditée sur long terme, mais plutôt l’histoire d’une femme pleine d’ambitions, très positives, qui a commencé par un petit mensonge pour se donner les moyens de réaliser ces ambitions, suivi par un autre mensonge, puis un autre, jusqu’à ce que les ambitions de départ soient mises de côté, et que seul le mensonge et le secret compte.

Si l’entreprise Theranos a bel et bien disparue et n’est pas prête de revenir, elle aura tout de même laissé un impact durable sur la Silicon Valley et la biomédecine.

Des dizaines d’entreprises travaillent sur des projets similaires aux promesses de Theranos impliquant de repenser les tests de diagnostic sanguin. Mais l’ombre de Theranos plane sur toutes ces entreprises et rend plus difficile la collecte de fonds auprès des investisseurs pour des projets légitimes.

“Depuis quatre ans, quiconque parle de diagnostics en point de vente devant des investisseurs est obligé de préciser “et nous ne sommes pas comme Theranos””, déclare le Dr Paul Yager, ancien directeur de la bio-ingénierie à l’université de Washington. “La réputation du secteur était si mauvaise que les investisseurs détalaient s’ils pensaient que vous faisiez quelque chose comparable à Theranos”.

Cette histoire aura aussi affecté le milieu de l’investissement “à la papa”, où les investisseurs se fiaient davantage à un ou une entrepreneure, à son charisme et son profil, et investissaient en suivant leur instinct. Aujourd’hui la majorité des fonds d’investissement font des analyses poussées de l’entreprise, de ses analyses financières, de leurs produits et de leur réputation.

John Carreyrou a depuis écrit un livre sur cette affaire, Bad Blood, disponible en français. HBO a également produit un documentaire, The Inventor: Out for Blood in Silicon Valley. L’histoire de Theranos sera aussi adaptée en film, réalisé par Adam McKay (The Big Short, Vice), avec Vanessa Taylor au scénario (La Forme de l’Eau), et Elizabeth sera interprétée par Jennifer Lawrence.

Sources :

  • Bad Blood, John Carreyou
  • The Inventor: Out for Blood in Silicon Valley, Alex Gibney

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Crapules

Crapules est un podcast qui revient sur les arnaqueurs, menteurs, escrocs et autres voyous qui ont marqué l'histoire - à leur façon.